La vie devant soi d’Emile Ajar

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Folio, 274 pages, 7,50€

4ème de couverture

Signé Ajar, ce roman reçut le prix Goncourt en 1975.
Histoire d’amour d’un petit garçon arabe pour une très vieille femme juive: Momo se débat contre les six étages que Madame Rosa ne veut plus monter et contre la vie parce que « ça ne pardonne pas » et parce qu’il n’est « pas nécessaire d’avoir des raisons pour avoir peur ». Le petit garçon l’aidera à se cacher dans son « trou juif », elle n’ira pas mourir à l’hôpital et pourra ainsi bénéficier du droit sacré « des peuples à disposer d’eux-mêmes » qui n’est pas respecté par l’Ordre des médecins. Il lui tiendra compagnie jusqu’à ce qu’elle meure et même au-delà de la mort.

Résumé

Momo, petit garçon arabe d’une dizaine d’année vit depuis presque toujours chez Madame Rosa, une vieille juive qui a connu Auschwitz et qui, autrefois, se défendait avec son cul, et qui a ouvert par la suite une pension clandestine pour accueillir les enfants de putain. Ces dernières souhaitent en effet protéger leurs enfants de l’Assistance publique ou des représailles des proxénètes. Momo qui n’a jamais vu sa mère venir le voir et qui ne connait pas son père raconte avec ses mots à lui sa relation avec Madame Rosa et les habitants de son quartier…

Mon avis

Je pensais ne pas aimer ce roman qui trainé dans ma PAL depuis des années, et … j’ai vraiment beaucoup aimé.

Momo nous raconte sa vie chez Madame Rosa, une personne maintenant âgée, rattrapée par le temps qui passe. Cette dame juive, ancienne prostituée, garde chez elle contre de l’argent des enfants de prostituées. Arabe, juif, chrétien, noir, blanc, … Madame Rose ne fait pas de distinction. Pour Momo, elle touche un mandat, ce qui lui permet de tenir financièrement. Momo est le plus grand, c’est donc lui qui aide Madame Rosa. L’école n’a pas voulu de lui, il apprend donc à lire et à écrire l’arabe grâce à M. Hamil, un petit vieux qui passe son temps au troquet à se souvenir de sa vie passée de marchand de tapis entre deux relectures d’une des œuvres de Victor Hugo : Les misérables.

Mais voilà, Momo qui déjà se pose beaucoup de questions sur lui-même, ses parents, la vie, se rend bien compte que l’état de santé de Madame Rosa se dégrade. Elle ne peut plus monter les escaliers, elle qui vit au 6ème étage d’un immeuble sans ascenseur. Il s’inquiète pour elle, autant qu’elle se fait souvent du mauvais sang pour Momo. Le verdict du médecin est cependant sans appel, Madame Rosa vieillit, elle devra aller à l’hôpital pour y terminer sa vie. Mais Madame Rosa refuse cette option, elle veut disposer de sa vie, son corps et son esprit libre jusqu’au bout…

Au départ, le récit de Momo est décousu, ses anecdotes alambiquées et son fil conducteur assez flou. Cependant, on finit quand même par s’attacher à ce petit garçon qui écrit comme il parle, langage familier et surtout comme il l’entend autour de lui. Le langage est, il est vrai, un peu particulier, propos d’enfant ou d’adolescent qui n’a pas toutes les clés en main, pas la bonne grammaire ou le bon vocabulaire, qui fait des phrases distordues, mais qui surtout des réflexions tellement vraies, remplies de vérité, de sincérité et d’amour. Momo ne juge pas les gens, il n’est pas formaté par une éducation, une société. Il voit les gens comme ils sont, les aiment pour ce qu’ils sont et même s’il ne les comprend pas toujours, leur reste fidèle.

Momo a besoin de se faire remarquer, lui qui n’a que Madame Rosa au monde. Il recherche l’attention et l’amour d’une mère mais il n’a que Madame Rosa dans sa vie. Il lui arrive de faire les bêtises, de plus en plus grosses pour qu’on parle de lui. Mais son insouciance s’en va petit à petit quand il se rend compte que Madame rose ne pourra bientôt plus s’occuper de lui. Il a des propositions d’aller vivre ailleurs mais le jeune garçon ne peut se résoudre à laisser sa mère nourricière toute seule. Alors parfois, il part de longues heures trainer en ville, il fait des rencontres, plus ou moins importantes, mais rentre toujours à 6ème étage de l’immeuble de Belleville.

L’enfance de Momo est difficile, ce qu’il traverse, ce qu’il vit est très loin d’être une partie de plaisir mais Momo, même s’il a des passages à vide, essaie de rester positif ou du moins de ne pas s’assoir sur ses convictions, ses principes. Et il va lui en arriver des choses à Momo dans ce roman. Il va découvre le mensonge, l’amour, l’amitié, la peur, etc. Une foule de sentiments va déferler en lui, joie, culpabilité, espoir, tristesse,… Il nous livre son avis sur la vie, le bonheur, son attachement à Madame Rosa, la tolérance, … en utilisant tous les sujets et les prétextes qui alimentent son quotidien : ceux qui se droguent, l’école, le médecin de Rosa, …

L’auteur réussit à aborder des sujets durs et difficiles sans pathos et sans vulgarité tout en faisant parler un enfant d’une dizaine d’année, au langage parfois fleurit et qui vit des choses compliqués et dures. Un paradoxe. Les réflexions de Momo sont tellement vraies, tellement poignantes que je n’ai pu m’empêcher d’en lire quelques unes à hautes voix à mon zhomme : sur la vieillesse, l’hôpital, sur l’euthanasie, sur la prostitution, sur la tolérance, sur le genre… Que de thématiques puissantes et qui ont dues choquer/étonner/surprendre les lecteurs et le monde de l’édition de 1975.

Dans la vie devant soi, on sourit, on rit autant qu’on a envie de s’indigner, se révolter et parfois de pleurer. Alors oui, ce n’est pas évident à lire, le style est particulier, mais je pense qu’il est important de s’accrocher, parce que les messages qui sont délivrés sont tout simplement magnifiques, beaux et tristes à la fois. Un livre fort en émotion avec de l’humour (parce que sinon, on n’y survivrait pas) qu’il faut avoir lu une fois pour se faire son propre avis.

Une fois n’est pas coutume :

Extraits

« Moi, l’héroïne je crache dessus. Les mômes qui se piquent deviennent tous habitués au bonheur et ça ne pardonne pas, vu que le bonheur est connu pour ses états de manque. Pour se piquer, il faut vraiment chercher à être heureux et il n’y a que les rois des cons qui on des idées pareilles. […]Je ne tiens pas tellement à être heureux, je préfère encore la vie. Le bonheur c’est une belle ordure et une peau de vache et il faudrait lui apprendre à vivre. On est pas du même bord lui et moi, et j’ai rien à en foutre. J’ai encore jamais fait de politique, parce que ça profite toujours à quelqu’un, mais le bonheur, il devrait y avoir des lois pour l’empêcher de faire le salaud. Je ne vais pas vous parler du bonheur parce que je ne veux pas faire une crise de violence, mais monsieur Hamil dit que j’ai des dispositions pour l’inexprimable. Il dit que l’inexprimable, c’est là qu’il faut chercher et que c’est là que ça se trouve »

« Maintenant le docteur Katz essayait de convaincre Madame Rosa pour qu’elle aille à l’hôpital. Moi, j’avais froid aux fesses en écoutant le docteur Katz. Tout le monde savait dans le quartier qu’il n’était pas possible de se faire avorter à l’hôpital même quand on était à la torture et qu’ils étaient capables de vous faire vivre de force, tant que vous étiez encore de la barbaque et qu’on pouvait planter une aiguille dedans. La médecine doit avoir le dernier mot et lutter jusqu’au bout pour empêcher que la volonté de Dieu soit faite. Madame Rosa est la seule chose au monde que j’aie aimée ici et je ne vais pas la laisser devenir champion du monde des légumes pour faire plaisir à la médecine. »

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