Fissures de Jess Kaan

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Editions Lokomodo, 7,30€, 336 pages

4ème de couverture

Étrange, morcelée, craquelée, notre réalité se délite et nous entraîne dans son sillage. Les certitudes vacillent, les idéaux s’estompent et l’on contemple les fissures de ce monde que l’on croyait inébranlable. Il est plus tard que vous ne pensez, votre quotidien a déjà basculé. Sauver ce monde… Ou l’accepter ? Au fil de quinze récits entre New York, Londres et Dunkerque, Jess Kaan vous convie à partager son univers, ses peurs, ses espoirs aussi. Venez…

Mon avis

Une belle découverte !

J’ai acheté ce recueil de nouvelles sur les conseils de Cindy, que je remercie, c’était une très belle découverte d’une atmosphère particulière, d’un auteur prometteur et d’une maison d’édition sérieuse qui fait des poches abordables en plus !

Ce recueil est composé de 15 nouvelles plus ou moins longues toutes empreintes de réalisme et de fantastique mêlée. Quasiment à chaque fois, j’ai été surprise de la tournure des événements dans les nouvelles. Elles commencent quasiment toute dans notre réalité, sociale, culturelle, … avec son lot de poésie et de drames, puis ça dévie de façon assez naturelle dans le surnaturel, la limite entre la folie et la perception de notre monde, est mince, un rien suffit pour basculer « de l’autre côté du miroir ».

J’ai adoré certaines nouvelles, d’autres m’ont moins plu, pas à cause de la qualité du récit ou de l’écriture mais plutôt parce qu’elles sont trop courtes pour s’attacher aux personnages et s’imprégner de l’atmosphère.

Comme pour chaque recueil, je vous ai préparé un résumé de la nouvelle et mon impression après lecture :

Rustbelt

Dans le Nord, un ouvrier de 29 ans se retrouve au chômage, sans autre bagage que 10 années passées au service de son employeur à suer sang et eau pour lui. Dans le coin, on vénère le bienfaiteur de la région qui a créé la plus grosse usine et employé beaucoup de locaux. En dépit de ses comportements personnels condamnables, tout le monde ferme les yeux; même après sa mort, il est considéré comme un Saint. Après une soirée à boire, notre ouvrier va chercher à se venger, mais tout ne va pas se passer comme prévu…

Cette nouvelle est très bien écrite, la tension monte progressivement. A la fois, sociale et fantastique, elle aborde des thèmes difficiles, la détresse sociale, la crise économique, le pouvoir des riches, les œillères des plus pauvres, … On arrive facilement à se mettre à la place de cet ouvrier et comme lui, on ne peut rester les bras ballants à ne rien faire. Le basculement dans le fantastique est vraiment bien fait, progressif et subtil.

L’intrigue

Un jeune homme doit retourner à Dunkerque pour son travail mais il déteste cette ville associée à de trop mauvais souvenirs, et plus que tout le Carnaval. Entrainé par un collègue de travail, il va devoir y participer, c’est alors qu’il aperçoit un de ceux que l’on surnomme l’Intrigue. Il y a 10 ans son père en a croisé un et n’a plus jamais été le même après…

J’ai beaucoup aimé cette nouvelle à la tournure inattendue ! J’ai aimé aussi découvrir le Carnaval sous les mots de Jess Kaan. J’avoue ne pas être attiré par ces rassemblements (trop, beaucoup trop de monde pour moi, même si j’aime l’esprit Carnaval) et après cette nouvelle… j’ai encore moins envie d’y aller ! Bouhhhhh (vous comprendrez à la lecture) ! Cette nouvelle traite des thèmes de la mort, du désespoir, des faux semblants et de l’essence même du Carnaval.

Les chats

Sébastien est une grande gueule, le genre à démarrer au quart de tour. Il a une femme, 4 gamins et 2 chiens. La famille pleine de stéréotypes qui se prend pour des bobos ! Mais surtout Sébastien déteste les chats. Un jour, il utilise son rottweiler contre un chaton. Après, ça des phénomènes étrangers vont se produire…

Alors là, c’est malheureux mais j’ai eu l’impression de retrouver certaines personnes que je connaissais quand j’étais ado, le père qui préfère ses chiens à ses enfants, qui se réjouit d’être cruel. Le genre de type qui fait froid dans le dos.  Dans cette nouvelle, j’ai aimé, ne pas arriver à déterminer ce qui est réel de ce qui est de l’ordre du délire ou du fantastique. C’est vraiment très bien fait ^^  Une question se pose : aimerez-vous toujours les chats après cette nouvelle ?

Toute la peine du monde

En 1994, Valérie, ado perturbée, voit un psychiatre, grâce à lui, elle va découvrir pourquoi elle est si mal dans sa peau. 10 ans plus tard, elle assiste aux obsèques de ce médecin qui a tant compté pour elle et se remémore les choses qui se sont passées dans la dernière décennie… 

Très belle histoire dans cette nouvelle, cependant, je ne sais pas pourquoi, j’ai moins accroché, peut-être que mon esprit aurait souhaité un traitement différent de ce qui arrive au docteur.

Épié

Un homme se sent épié chez lui, il sent une présence mais ne trouve rien d’autre qu’une boite posée sur sa table de séjour, qu’il n’avait jamais vu auparavant…

Voici un exemple de nouvelle courte, trop pour que j’arrive vraiment à accrocher. Mais elle est intrigante et crée un trouble chez le lecteur, est-ce  une nouvelle fantastique, ou la métaphore d’une maladie ?

Kenshiro’s way

On suit Kenshiro un ninja dans un « Hiroshima » aux allures futuristes mais surtout touché par un Mal étrange. Sa sœur est en danger, il doit faire quelque chose pour elle…

Une des rares nouvelles du recueil à ne pas être ancrée du départ dans la réalité que l’on connait. Je ne suis pas portée sur la culture ou les histoire asiatiques, j’ai donc eu du mal avec cette nouvelle au début et puis sa tournure change et elle devient surprenante. J’ai aimé dedans, ce qui fait un peu plus « SF », des animaux-robots notamment. Et l’art de l’illusion.  Cette nouvelle est plus longue que les précédentes, plus étoffée, finalement elle me laisse un bon souvenir alors que c’était mal parti ^^

915

Un père est au chevet de son fils à l’hôpital. On a alternativement le point de vue de ce père et de son fils. Mais le point de vue du fils n’est pas celui auquel on s’attend…

Cette nouvelle est très belle, elle met en avant des thèmes comme le pouvoir de l’amour, les rêves, l’imaginaire, la dureté de la réalité, l’espoir… J’ai beaucoup aimé cette nouvelle et son symbolisme.

Le syndrome de Midas

Grégory, diplômé dans la finance, vient d’être embauché dans une des plus grosses boites de Londres comme trader. Son comportement déjà limite, change encore, il devient égoïste, insensible, odieux, arrogant. Il va jusqu’à se mettre à la Coke pour être plus performant. Le début de la fin…

Encore une nouvelle surprenante! On n’imagine pas la fin quand on la commence ! Grégory est typiquement le genre de personnage qui m’est antipathique, à un point tel que je n’ai même pas été touchée parce qui lui arrive, après tout, il n’a que ce qu’il mérite ! En tout cas, sa description, celle de sa vie, sont une réussite, puisque je l’ai détesté et je pense que c’était le but non ? J’ai bien aimé la touche de mythologie, un changement par rapport aux autres nouvelles qui m’a surpris et qui m’a plu.

Fantasy impromptue

Marlène a été agressée sexuellement, elle n’arrive plus à faire face, elle s’enfuit de sa chambre d’étudiante et découvre un étrange bois…

Cette nouvelle est très très dure, terrible, triste et horrible. Par contre, le récit est maitrisé, pas de pathos, la façon de traiter ce thème est juste. La belle écriture de Jess Kaan, n’adoucit pas pour autant la cruauté de la vie, du malheur qui peut survenir. Parfois, il n’y a rien à faire…

Fenêtre ouverte sur (ton âme)…

A 17 ans, cet ado est le gars que tout le monde trouve un peu lourd, c’est pas le canon du lycée, et pas une fille ne veut sortir avec lui. Mais il est amoureux de Chloé. Un jour, il va par hasard, se découvrir une capacité,…

Cette nouvelle est très courte et là aussi, trop pour s’attacher à ce garçon, ou pour être marqué par le message de cette nouvelle.

Les herbes hautes

Un étudiant accepte un job d’été dans les Flandres, s’occuper des travaux d’une propriété qui accueille de septembre à mai un pensionnaire romancier, en général étranger. L’été, il est donc seul dans cette Villa, avec pour seule visite en semaine, la factrice, cette dernière va lui apprendre que son prédécesseur s’est suicidé,… Que se passe-t-il dans cette Villa ?

Une nouvelle un peu plus longue. Ce qui permet de faire monter le mystère sur les phénomènes qui se passent dans cette demeure. Cette nouvelle traite des thèmes comme l’Inspiration, l’Art, l’Écriture, la Passion, « jusqu’où peut-on aller ? » Cette nouvelle m’a beaucoup plu ^^

Le Restoroute

Audrey et Michael déjeunent dans un restoroute mais Mick trouve l’endroit louche, le proprio surtout. Pourtant Audrey le rassure, elle est armée et ne voit pas de « sale gueule » aux alentours.

On comprend assez vite ce que sont les « sales gueules » pour Audrey. Ce genre de personnages que je n’aime pas. Mais encore une fois, j’ai été surprise par la tournure des événements et cette nouvelle est une excellente surprise et pourtant comme je déteste ce thème, c’était pas gagné !

La guilde des avaleurs d’asphalte

Un ancien flic décide d’infiltrer la vie d’un VRP au comportement étrange. Il devient lui-même VRP, s’arrange pour le rencontrer et lui demander de lui montrer ses trucs. Ce qu’il va découvrir va au-delà de tout ce qu’il aurait pu imaginer…

Cette nouvelle fait un peu polar, encore un changement de style qui va bien à Jess Kaan. On reste quand même dans l’univers fantastique. Ici aussi il est difficile de faire la différence entre la folie, l’imaginaire, le fantastique, la réalité ! Encore une nouvelle où on ne voit pas venir la fin !

Kevin

La mère de Kevin est égoïste, elle le retient chez elle pour garder ses deux sœurs, pendant qu’elle passe du temps avec son nouveau petit-ami. Kevin ne se rend donc pas au voyage scolaire avec ses camarades de classe. Le soir, il guette leur retour, mais le bus a beaucoup de retard. Tout le monde s’inquiète quand soudain le bus arrive. Mais pas de chauffeur, pas de cris d’enfants, pas de joie de retrouver leurs parents. Kevin sera le premier à regarder dans le bus, ce que lui et les parents vont découvrir est inimaginable….

Cette nouvelle est assez flippante ! On se demande à quel moment on a basculé de l’autre côté du miroir ? Que se passe-t-il ? On observe aussi que les événements influent sur les personnes dont le comportement change, inévitablement. On a une drôle de sensation, d’impression à la fin de la lecture. Bouhhhh.

London Calling

La police londonienne doit rouvrir l’enquête sur la mort d’un chanteur punk. Pendant ce temps, un homme au chapeau melon va faire ses emplettes dans une épicerie du quartier, il donne l’impression d’être à la fois de notre époque et du passé dans sa façon de parler. L’épicerie se fait braquer, notre homme au chapeau melon est fortement contrarié, c’est pas tout, il a un diner important à préparer. Il « maudit » le braqueur. Ce dernier s’enfuit par le métro quand tout à coup il se retrouve dans un autre monde, à l’époque des carrioles et où tout est en noir et blanc…

Ma nouvelle préférée du recueil ! Mystère, Imaginaire, Enquête policière,… On y retrouve des références littéraires, musicales, cinématographiques, elle nous parle de rêves, de quête d’identité, de révolte,… J’ai vraiment aimé l’imaginaire développé dans cette nouvelle, découvrir qui est cet homme au chapeau melon, suivre un peu la police, découvrir un monde différent. Je vois vraiment bien ce type d’histoire dans un roman, en tout cas, moi j’aimerai beaucoup !

Voilà pour chaque nouvelle.

J’ai beaucoup aimé ce recueil de nouvelles, dans l’ensemble, elles m’ont toutes plu, sauf peut être les plus courtes. A chaque fois ou presque, j’ai été surprise par la tournure des événements, par la façon dont l’auteur arrive à glisser aisément de la réalité au fantastique, soit carrément, soit par touche. Certaines nouvelles sont dures, d’autres sont touchantes. Certaines font rêver et d’autres donnent la chair de poule !

Le fil rouge du recueil pour moi, c’est vraiment « les fissures », à quel moment le récit change, se transforme, à quel moment la perception change, le monde se modifie. Avec toujours cette emprise dans la réalité, qui amène à s’interroger, est-ce vraiment du récit fantastique, ou sommes-nous mis face à la folie humaine ?

Parfois, ça m’a fait penser à la série « Au delà du réel, l’aventure continue » ou à « la 4ème dimension », quand tout bascule à un moment donné !

« Ce n’est pas une défaillance de votre téléviseur. N’essayer pas de régler l’image. Nous maîtrisons, à présent, toutes les retransmissions. Nous contrôlons les horizontales et les verticales. Nous pouvons vous noyer sous un millier de chaînes ou dilater une simple image jusqu’à lui donner la clarté du cristal, et même au delà … Nous pouvons modeler votre vision pour lui fournir tout ce que votre imagination peut concevoir. Nous contrôlerons tout ce que vous aller voir et entendre. Nous partagerons les angoisses et les mystères qui gisent dans les plus profonds abysses … au delà du réel »
Oups, je m’égare !

Chaque nouvelle est vraiment bien écrite. L’écriture est soignée, fluide, vivante. Les thèmes sont bien choisis, variés, en restant en cohérence avec la dimension fantastique. ça me plairait beaucoup de lire une histoire complète de Jess Kaan (j’attends impatiemment son passage à l’Atelier Mosésu, pour un Embaumeur !). Ce recueil est une très belle découverte, n’hésitez pas à découvrir ces textes et son auteur.

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JLNN